Nous évoquerons dans les lignes qui vont suivre la vie des paysans qui ont vécu autour et à proximité de la Fontaine Salée, il y a de cela plusieurs siècles.
Le secteur géographique sur lequel s’étend l'activité de l'association « Salicorne » était bien plus peuplé qu'il ne l'est aujourd'hui le tableau ci-dessous en rend compte.
D’après M.C. Roederer « Paroisses et communes de France – Département de l’Aude » Editions du CNRS.
Ce que nous apportent les B.M.S (les registres de l’église).
Dans chaque paroisse, on peut extraire des registres paroissiaux, cahiers sur lesquels, avant la Révolution de 1789, les prêtres enregistraient les actes de Baptême de Mariage et de Sépulture (B.M.S.)quelques informations sur la vie quotidienne d’alors.
Généralement, ces commentaires sont en relation avec l'observation de la pratique religieuse.
Nous proposons quelques notes faites par les prêtres, relevées sur les registres des paroisses d’Arques, Bugarach et les Bains de Monferran ou Bains de Rennes (de nos jours Rennes-les-Bains).
Soucieux de la moralité de ses ouailles, le prêtre signale bien entendu les naissances illégitimes. Elles sont parfois accompagnées de commentaires visant à rétablir la vérité sur la paternité de l'enfant qu'il vient de baptiser. Il veille à ce qu'il soit bien soigné, et parfois doit reconnaitre l’impuissance de l’église devant certains comportements que la religion condamne.
Le 27 août 1741 le notaire d'Arques prend acte de la déposition forcée de Jeanne Deloupy veuve de feu Laurens Garrigue. Elle déclare que le 23 du même mois elle fut surprise par maître Jean Bacalou avocat aux ordinaires du marquisat d’Arques et Jean-Pierre Marsan procureur juridictionnel accompagnés de plusieurs femmes du village « a occuper mal a propos le nommé anthoine carla dudit lieu et contre la vérité et sa conscience déclare ladite deloupy que si elle est enceinte que cest de œuvres dun homme de courssa près de narbonne qui la fit succomber dans ce malheur et que cétoit quelques jours après la fete de la St jean baptiste ou elle étoit allée pour faire la moisson, et que par conséquent que ledit carla se trouve innocent dans ceste affaire et la dite deloupy a déclaré la présente déclaration contenir la vérité et ma prié de lui en retenir cet acte... » Le prêtre ne cédera pas à la pression du qu'en-dira-t-on. L’enfant que met au monde le 21 avril 1742 Jeanne Deloupy est enregistré sous le nom de Carla Catherine fille de « vve Garrigue Laurens qui a dit à Antoine Vidal et Catherine Garrigue que le père était Antoine Carla du dit Arques ». Il est vrai, que l’enfant étant né près de 10 mois après la St Jean Baptiste, il était difficile de mettre en cause dans cette grossesse la responsabilité d’un individu de Coursan.
Il arrive que le prêtre se soucie de l'avenir du nouveau-né. Le 20 octobre 1766, à l'occasion du baptême dans l’église d’Arques, d’un enfant né de Raynaud Jeanne et de père inconnu, il fait prendre aux grands-parents l'engagement solemnel de bien le soigner « Antoine Delbourg et Paule Azais son épouse la ditte Jeanne Raynaud fille de la dite Paule Azais s'étant accouchée dans leur maison ont promis devant la porte de l'église en présence de messieurs les consuls le garde terre de madame de poulpry et plusieurs autres d'avoir soin de l enfant de le garder dans leur maison et de l'entretenir jusques à ce qu'il soit en état de gagner son pain.... » Cependant, il est des situations que le prêtre réprouve mais qu'il doit accepter. Lorsque, le 23 mars 1752, il enregistre la naissance de Marc Monge fils d'Élisabeth, la mère déclare que le père de l'enfant est Antoine Bilhard fils du notaire.
Un mois auparavant Elisabeth Monge a porté plainte contre son séducteur : « A dit et déclaré qu'elle se trouve enceinte depuis sept mois et demi ou environ des oeuvres du sieur Antoine Bilhard fils du sieur Bernard Bilhard notaire habitant du présent lieu d'Arques, lequel l'ayant fréquentée et recherchée en mariage depuis quatre à cinq ans lui ayant promis de l'épouser et réitéré plusieurs fois ses promesses la plaignante a reçu dans cette hypothèse les visites du dit Antoine Bilhard et enfin le 17e février de l'année 1749 veille du mardi gras, la plaignante ayant été à un sien paillé au quartier de l'ière, environ les cinq heures du soir, le dit Bilhard fût la rejoindre et sur ses pressantes instances et promesses réitérées de l'épouser la plaignante succomba et le dit Antoine Bilhard jouit d'elle pour la première fois lequel commerce ils ont depuis continué par un nombre infini de fois de nuit et de jour soit au dit paillier soit dans d'autres maisons du présent lieu d'Arques soit aux champs vignes et bois où le dit Bilhard allait souventes fois la rejoindre lorsqu'elle y allait de son pur mouvement ou à la sollicitation et prière du dit Bilhard ».
Cette relation, dont l’une des parties appartient à une famille de notables locaux, est illégitime et hautement coupable aux yeux de l'église. Elle durera sept ans. Le mariage ne sera célébré que le 3 février 1759 ; entre-temps quatre autres enfants seront portés sur les registres chaque fois le prêtre ne pourra que signaler leur illégitimité.
Sur le registre de Rennes-les-Bains, à la date du 7 juin 1726 est enregistré le baptême de Resseguier Anne fille de père inconnu et de Resseguier Catherine. Le prêtre signale « elle restait pour servante a Carcassonne deux hommes la menerent toute grave (c'est-à-dire enceinte) a Vesis chez son pere ». Ce bref commentaire illustre les risques courus par les jeunes filles de la campagne qui partaient domestiques à la ville.
Quelques notes, relevées sur des actes de décès, signalent les circonstances de l'événement ou apportent quelques précisions sur le défunt.
Certaines mentions témoignent du respect divin manifesté par certains fidèles. Le 30 avril 1696, Azais Catherine « n'a pas reçu le St viatique a cause qu'elle sy oposa disant quelle ne meritait pas que le bon dieu vint dans sa maison mais quelle esperait venir a leglise pour le recevoir ».
Lorsque le 20 juillet 1731, Antoine Delmas, prêtre de Rennes-les-Bains, est enseveli le commentaire suivant figure sur l'acte « a été enseveli dans le cimetière de cette paroisse au pied de la grande Croix regardant l’entrée du cimetière et l’église Messire Antoine Delmas prêtre de ce diocèse né le 9 octobre 1644 ordonné prêtre par Mgr Nicolas Pavillon aux quatre temps de décembre 1669 et fait curé de la présente paroisse par led sgr Evêque dans le mois de novembre 1672 : lequel après avoir édifié le diocèse par l’odeur de ses vertus est mort dans le baiser du seigneur le 20 éme du présent mois à trois heures et demi du matin après avoir reçu plusieurs fois le saint viatique durant le cours de sa maladie qui a commencé le 9 septembre 1730 et donné l’exemple de toute sorte de vertu jusqu’au dernier moment de sa vie ». Antoine Delmas resta dans cette paroisse une soixantaine d'années, il eut le temps de connaître ses fidèles si bien que le 6 novembre 1710, lors de la sépulture de Cartade Antoinette il ajoute qu'elle était : « vieille fille fort sage ». Un second prêtre répondant au nom d’Antoine Delmas est enseveli à Rennes-les-Bains au mois de Juillet 1737, il était âgé de 63 ans. Il s’agit probablement du neveu et successeur du précédent. Les revenus d’une paroisse, même s’ils sont partagés avec l’évêque ou quelque autre dignitaire religieux, assurent à son desservant un niveau de vie nettement supérieur à celui de la majorité de ses paroissiens. On trouve, également vers la même époque, à Bugarach et Arques, cette transmission de la paroisse de l’oncle au neveu.
L'importance du fait religieux est manifeste lors des accouchements difficiles pouvant se conclure par le décès de l'enfant et parfois celui de la mère. Dans ces occasions, la priorité absolue est de baptiser l'enfant avant de penser au salut la mère. Il faut impérativement éviter que l'enfant ne meure sans avoir reçu l'eau, car alors les portes du paradis lui seraient définitivement fermées. Lors d'accouchements difficiles entrainant le décès de la mère, il arrive que le même acte signale la sépulture de la mère et de l'enfant. C'est le cas à Rennes-les-Bains le 15 avril 1693. Ce jour-là Antoine Delmas a procédé à l'enterrement de Madeleine Tricoire épouse de Jean Prax, elle fut, écrit-il, "ensevelie avec sa fille Marie que j'avais baptisé…"
Rarement les pratiques religieuses sont violemment contestées, ce fut le cas lorsque pour assurer le salut éternel de l'enfant le prêtre voulut recourir à des procédés que de nos jours nous qualifierions de barbares. Ils furent à l'origine d'un grave incident entre le curé de Rennes-les-Bains et l'oncle d'une jeune femme morte en couches. À la suite du décès de Saint Loup Simone le 8 mars 1747 le curé écrit : qu’elle est « morte le jour précédent du mal de couches aiant son enfant dans le ventre son oncle François Saint Loup s'opposa avec des menaces atroces à l'opération que moy curé sous signé voulait faire faire par le Sr Lafeuille chirurgien de Couiza qui etait present avec moy quand la dite Simonne mourrut l'enfant feut sans baptême mais la mère avait reçu avant de mourir les sacrements de pénitence et de l'eucharistie ».
La note suivante, « elle n'a reçu dans son travail aucun sacrement mais il n y avait pas plus d'environ trois semaines qu'elle avait confessé et communié pour se préparer à la mort », enregistrée le 2 avril 1757 à l'occasion du décès en couches de Jaffus Jeanne, permet de se rendre compte de la gravité des risques liés à l'accouchement dans ces temps anciens.
Quelquefois le prêtre donne les raisons qui ne lui ont pas permis d'administrer le Saint-Sacrement au mourant. Nous en citerons trois : en 1708 Raynaud Claire d’Arques « avait quelque faiblesse d'esprit s'imaginant qu'elle vivoit la nuit » ; en 1753 Méric Catherine de Rennes-les-Bains, âgée de seulement 45 ans, « vécut deux ans ou environ dans une parfaite imbécilité » ; enfin Jean Tesseire d’Arques au moment de son décès en 1788 « était tombé dans une espèce d’enfantillage », il avait 66 ans.
Parfois quelques détails sont apportés lorsque la mort survient à la suite d'un accident brutal. Le 25 octobre 1694 le registre de la paroisse d'Arques signale le décès de Germain Roudel notaire assassiné au hameau de la Frau Haute.
Le 17 mai 1710 Carla Guilhaume est enseveli au cimetière d'Arques à la suite d'une noyade « tombé et suffoqué dans la rivière ». Dans des circonstances comparables, le 3 septembre 1737, le prêtre de Fourtou refuse la sépulture ecclésiastique à Pierre Brunet qui se serait suicidé en se jetant « dans le gourg du timbal, son bonnet recouvrant entièrement sa tête ».
Le 11 septembre 1760 Maury Grégoire est enseveli au cimetière de Rennes-les-Bains « ayant été presque écrasé par la chute d'un toit ».
Il arrive que des curistes venus aux bains de Rennes décèdent au cours de leur cure certains sont venus des villages voisins, comme Pierre Sire originaire de Saint-Just et décédé le 17 mai 1714, à l'âge de 60 ans. D'autres ont des origines plus lointaines ce qui atteste la renommée des eaux thermales de Rennes. Bernard Dengans ensevelit le 29 mai 1693 était venu de Douzens village situé au pied de l’Alaric. Le 16 juillet 1716 Antoine Delmas procède à la sépulture de Cabiriol Jean Estienne « seigneur de Mandoul et autres places senechal de la compté (sic) de Castres qui résidait dans son chateau de la Tour d’Aragou diocèse de Castres venu dans ce lieu pour y prendre les bains ».
Une lecture attentive des B.M.S. est comme on vient de le montrer très enrichissante pour qui veut connaître la vie de ceux qui nous ont précédé...